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La Carthage romaine

La Carthage antique se résume souvent dans l’imaginaire collectif à son époque punique, alors que son époque romaine la vit tout aussi (voire plus) florissante sur les plans économique et intellectuel. Son statut de capitale de province n’est bien entendu pas étranger à cela. Carthage est la capitale administrative de la province d’Afrique à partir de 29 av. J.-C.. Bien que ce rôle conféré à elle par Rome, son ancienne rivale, puisse pousser à l’étonnement. Car, lorsque Carthage fut définitivement défaite en 146 av. J.-C. le sénat romain avait déclaré son sol tabou et c’est Utique, vieille fondation phénicienne selon la légende, qui avait été choisie comme siège du gouverneur de l’Africa, tout en restant une ville libre. Mais, quelques années plus tard à peine, 122 av. J.-C., le tribun Caius Gracchus osa s’approcher du sol tabou (périmètre maudit) pour y fonder une des premières colonies outre mer en y installant près de 600 colons. Cette colonie eut pour nom Colonia Junonia Carthago. Cependant, la mort de Caius Gracchus fit avorter cette tentative de « refondation ». S’ensuivit une longue période de déshérence pour la région de Carthage. Il fallut attendre 44 av. J.-C., pour que Jules César essaya d’impulser un projet de colonisation sous la forme d’une véritable politique municipale pour l’Africa Vetus. Projet qui ne faisait que concrétiser l’image qu’il voulait donner de lui comme marchant sur les traces des Gracques et de Marius. Mais, son assassinat cette même année, aux ides de Mars, fit à nouveau avorter cette tentative de faire renaitre Carthage de ses cendres (sous une forme romaine cette fois-ci bien entendu). Ce fut alors Octave-Auguste, héritier en titre, qui parvint enfin à réaliser ce projet en nommant la nouvelle Carthage Colonia Iulia Concordia Karthago, y faisant installer des colons vers 29 av. J.-C. [1].
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La Carthage romaine. Source : Larousse, consultable à l’adresse suivante : http://www.larousse.fr/encyclopedie/image/Laroussefr_-_Article/1011183

La résurrection de Carthage

Donc, la colonie qui symbolisait la nouvelle Carthage se trouvait juste au dehors du territoire de l’ancienne du nom, pour ne pas enfreindre l’interdit religieux qui était toujours valable, frappant son sol d’une malédiction jusqu’à nouvel ordre. Elle s’étendait à l’ouest et au nord-ouest de Byrsa. Mais, le respect de cet interdit ne semble pas avoir été suivi avec fébrilité car certaines libertés prises auraient fait intervenir le Grand Pontife Lépide entre 40 et 36 av. J.-C.. Il est difficile de savoir avec assurance quand cette malédiction fut levée. A en croire Dion Cassius, une sorte de refondation en 29 av. J.-C. l’aurait logiquement levée [2], mais il est tout aussi probable qu’il fallut attendre la mort de Lépide en 12 av. J.-C.. Ce n’est qu’à partir de cet instant que Carthage put aspirer à renouer avec son éclat commercial d’antan, car la cadastration la reliait à la mer et lui permettait de redevenir un port méditerranéen. Les plus importants habitants de Carthage seront des vétérans que César et Auguste devaient placer dans une nouvelle colonie, d’où leur motivation à réaliser ce projet. A l’autre bout de la Méditerranée, un autre projet similaire visait Corinthe dont le rétablissement lui redonnait presque ses lettres de noblesse d’antan. Carthage, elle, allait les gagner facilement, déjà, rien que par les conditions naturelles qui la servaient. Tant l’emplacement maritime stratégique dont elle jouissait que la fertilité de son arrière-pays ainsi que le rappelait judicieusement Diodore [3]. Son agriculture était d’ailleurs très estimée, en atteste le traité que lui consacra un érudit carthaginois du nom de Magon (IIIe-IIe siècle av. J.-C.) et qui fut le seul ouvrage punique traduit au latin et qui eut une grande célébrité méditerranéenne. A défaut de puissance militaire et politique indépendante, c’est sur sa puissance économique que devra compter Carthage pour essayer à nouveau de rivaliser avec Rome. Capitale administrative, elle avait néanmoins un certain rôle prééminent dans la région qui lui assurait tout également un certain prestige politique. D’ailleurs, ce fut peut-être une des métropoles romaines de Méditerranée. Strabon n’écrivait-il pas en parlant d’Utique qu’« après la destruction de celle-ci (Carthage) elle servit pour ainsi dire de métropole aux Romains. » ? Le gouverneur résidant à Carthage était loin d’être un vétéran quelconque, mais plutôt choisi parmi les sénateurs de rang consulaire. Gouverneur qui bénéficie alors de deux cohortes et de toute une administration autour de lui. Une spécialiste de la Carthage romaine ajoute que [4] :
...des épitaphes de fonctionnaires et employés impériaux mentionnent les bureaux du tabularium et des services judiciaires. Du côté occidental, Carthage a peu de concurrence : les autres provinces africaines (les Maurétanies) sont des provinces de rang équestre, ce qui signifie qu’elles n’ont pas un sénateur pour gouverneur et que leurs capitales administratives respectives ne peuvent pas se targuer des mêmes titres de gloire.
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Carthage romaine au IIe siècle après Jésus Christ, musée du Bardo, Tunis.

Une véritable métropole romaine ?

Le rôle religieux de la Carthage romaine est à la hauteur de son statut de métropole, vu qu’elle abrite le sanctuaire régional du culte impérial où se réunissent annuellement les délégués du concilium provinciae [5]. D’ailleurs, un comput spécifique était en usage à Carthage, suivant l’ère des Cereres, que l’on fait commencer selon les cas en 49, 44, 40, ou 38 av. J.-C., hommage aux déesses de la fécondité. Autant pour le paganisme que pour le christianisme, Carthage affirmera toujours sa primauté religieuse en Afrique. Elle en sera le siège épiscopal le plus important. Dès 220, l’évêque de Carthage, Agrippinus, réunit en concile ses collègues venus de Proconsulaire et de Numidie, ce qui témoignerait donc de sa prééminence religieuse. En 258, c’est à Carthage que l’évêque Cyprien sera martyrisé, acceptant le martyr, mais au lieu choisi par lui, car le proconsul l’avait mandé à Utique, or lui-même écrivit : "il convient que ce soit dans la ville où est la tête de l’église du seigneur qu’un évêque confesse le seigneur et qu’ainsi l’éclat de la confession rejaillisse sur tout le peuple" [6]. D’Auguste à Cyprien, Carthage semble donc avoir été en quelque sorte le centre spirituel de l’Afrique. Quoique ce statut de plus imposante ville romaine d’Afrique semble incontestable, les auteurs romains ne s’intéressent pas pour autant de manière sérieuse à la nouvelle Carthage. De rares passages sont à noter [7]. Il est donc difficile de leur faire dire que la Carthage romaine fut une véritable métropole. Seul un auteur tel Hérodien peut s’attarder quelque peu sur une laconique description de Carthage [8] : ...
il (Gordien) la quitta et gagna en hâte Carthage qu’il savait être très grande et populeuse, afin d’agir en tout point comme à Rome. En effet, cette grande cité de Carthage n’est, par sa puissance financière, par l’importance de sa population et son immensité, inférieure qu’à Rome, et rivalise pour la seconde place avec Alexandrie d’Egypte...
...Tous les fuyards qui s’étaient précipités dans Carthage et étaient parvenus à se cacher en se dispersant dans l’ensemble, très vaste et très populeux de la cité, eurent la vie sauve mais ils ne furent qu’un petit nombre.
Les découvertes archéologiques confirment ce genre de remarques sur la densité de la Carthage romaine. Entre le IIe et IVe s., la cité intra-muros sous Théodose II (sachant que toute la superficie n’était pas occupée) est estimée à 321 ha (soit la moitié d’Alexandrie évaluée entre 600 et 1000 ha). On y trouve entre 355 et 360 insulae (îlots d’habitations) d’environ 5000m2 réparties en 10 maisons. En y appliquant un coefficient de 15 ou 20, on obtiendrait une estimation variant entre 53 000 et 71 000 habitants, ce qui peut paraître faible par rapport aux estimations traditionnelles (estimation haute de 300 000 habitants), mais la place au premier rang des villes des provinces occidentales de l’Empire [9].
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Vestiges d’un théâtre romain à Carthage. (Carte postale, Lehnert & Landrock, Tunis ; 518)
C’est à Carthage que la somme obligatoire que devaient verser les magistrats pour pouvoir participer à la vie municipale était la plus élevée dans les provinces romaines de l’Occident méditerranéen : elle était de 38 000 sesterces à Carthage, de 20 000 à Cirta, de 10 000 à Hippone, de 5 000 à Bulla Regia. Carthage était donc sans doute la cité romaine la plus importante de tout l’Ouest méditerranéen, des textes comme l’Expositio totius mundi et gentium : au milieu du IVe s., peuvent présenter Carthage comme « une ville exceptionnelle et en tous points admirable » ou la classer en troisième position derrière Rome et Constantinople (comme l’ordo Urbium nobilium, milieu IVe s.) [10].

La culture et la vie intellectuelle dans la Carthage romaine

Si, en ce qui concerne la richesse agricole, les textes préfèrent (semble-t-il) plus louer la province d’Afrique que son coeur Carthage, sur le plan intellectuel des auteur tel Apulée sont très précis dans leurs dires et dresent un portrait très flatteur de la cité. Par exemple, les jeunes hommes autant de Proconsulaire que de Numidie suivaient leurs études supérieures à Carthage, les exemples les mieux connus de parcours éducatif étant ceux d’Apulée au IIe s. et d’Augustin à la fin du IVe qui montrent un cheminement allant de la petite cité d’où ils étaient originaires - Madaure pour Apulée, Thagaste (Souk Akhras) pour Augustin-, jusqu’à Carthage. Ce dernier, Augustin d’Hippone (saint Augustin), a laissé de merveilleux témoignages sur l’effervescence culturelle qu’il a rencontré à Carthage. Il raconte qu’on joue dans les théâtres Plaute ou des tragédies grecques mais aussi des spectacles très légers voire franchement érotiques, on assiste dans les cirques aux courses de chars, dans les amphithéâtres auxmunera ou aux chasses [11]. D’ailleurs, c’est la présence à la fois d’un cirque, d’un théâtre et d’un amphithéâtre dans la ville qui en fait véritablement une métropole et la capitale aussi bien de jure que de facto de l’Afrique. Bien avant Augustin, d’autres spectales étaient de mise, aux antipodes de ses préoccupations. Vu qu’au IIIe s., même des exécutions de chrétiens devaient ressembler à des spectacles : lors du martyre de Félicité et Perpétue en 203 qui eut lieu dans l’amphithéâtre de Carthage, on voulut déguiser deux des martyrs en prêtres de Saturne et Cérès, ce qu’ils refusèrent. C’était une façon de les humilier par rapport à leur foi mais aussi de transformer l’exécution en spectacle pour le public. Même à l’époque d’Augustin, il sera reproché à l’empereur Julien d’avoir « ruiné la cité en donnant congé aux gens de théâtre, aux mimes et aux danseurs » [12].
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Ruines romaines de Carthage.
La Carthage romaine domina sans doute à son époque toute l’Afrique par son aura. Mais, cela signifie pas pour autant que le reste de la région resta dans l’ombre. Apulée ne délaissera-t-il pas Carthage pour aller chercher femme en Tripolitaine car elle y possède des terres et 400 esclaves ? Tandis que Septime Sévère, premier et seul empereur originaire d’Afrique, ne vient-il pas de Leptis Magna et non de Carthage. De tels détails permettent de nuancer la place prééminente que tint la Carthage romaine en Afrique.
Chafik T. Benchekroun
Doctorant en histoire à l’université de Toulouse, rattaché à l’UMR 5136 du C.N.R.S.
legrandunivers.blogspot.com

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