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Anguille d'Europe

L’anguille est un poisson bien connu du grand public. Pour autant, qui sait que l’espèce est en danger ? Et pourtant, sans la mise en place rapide de mesures d’urgence, l’anguille pourrait
bien, une dernière fois, nous filer entre les mains. Patrick Lambert, ingénieur à Irstea* à Bordeaux, se passionne depuis près de 10 ans pour cette espèce. Depuis quelques années, ses travaux l’ont amené à créer des modèles pour approcher au mieux la dynamique des populations d’anguilles. L’objectif est ambitieux : pouvoir simuler l’évolution des populations d’anguilles en fonction de différents scénarios pour aider à définir des méthodes de gestion efficaces.
Une anguille dans son habitat naturel

Un seul stock européen

Toutes les anguilles naissent au même endroit : la mer des Sargasses, au sud de la Floride. Aidées par les courants marins, les larves dites leptocéphales parcourent quelques 6000 km pour traverser l’Atlantique. Avant d’aborder les côtes européennes, les larves se métamorphosent en civelles, les amenant à ressembler à des anguilles transparentes de quelques centimètres de long. Elles colonisent alors les eaux continentales. Le long des côtes d’Europe du sud, les civelles sont intensément pêchées, car elles sont à la base d’une forte tradition culinaire locale. Elles sont également exportées vers l’Europe du Nord pour soutenir les pêcheries et l’aquaculture locales et depuis quelques années vers les fermes aquacoles asiatiques. Devenues anguilles jaunes, elles se sédentarisent en estuaire ou remontent les cours d’eau.
Après une petite dizaine d’années de croissance (un peu moins pour les mâles, un peu plus pour les femelles), l’anguille jaune e métamorphose en anguille argentée. Elle arrête de manger, prend une teinte argentée, ses yeux grossissent… Bref, elle prépare son retour en eaux profondes pour se reproduire. L’anguille argentée descend alors les cours d’eau et continue sa migration en sens inverse jusque vers la mer des Sargasses.

Une population qui décroît depuis les années 70, un début de réponse 40 ans après.

En France, une première sonnette d’alarme est tirée dès 1984. Depuis, le stock d’anguilles ne cesse de diminuer. La population d’anguilles aurait ainsi été divisée par 10 en 20 ans, ce qui fait craindre le pire pour les années à venir. Des mesures de gestion du stock et de restauration doivent être envisagées. En 1998, suite aux positions des scientifiques européens, le CIEM (Comité International pour l’Exploration de la Mer) et la FAO considèrent que le stock d’anguilles est en dehors de ses limites biologiques et que les pêcheries ne sont plus durables. En 2004, l’union européenne se saisit du dossier et finit par adopter en 2007 un règlement qui vise à mettre en place dans chaque  état membre un plan de gestion d’ici 2009, conduisant à réduire la pression de pêche et les autres sources de mortalité d’origine humaine. La première évaluation de ses plans est prévue en 2012 et il sera alors possible de mesurer si les mesures prises ont permis au stock de commencer à se reconstituer.

Une anguille

Des anguilles victimes de tous les maux

La pêche est un facteur non négligeable de diminution de la population d’anguilles.
Ainsi dans certains estuaires, comme celui de la Vilaine qui est fermé par un barrage, le taux de capture des civelles avoisine les 95 %. Un taux d’exploitation entre 10 et 15 % est estimé dans les autres estuaires salés. Si l’on ajoute à cela les 15 % de civelles prélevées en eaux douces et les 10 % d’anguilles jaunes, voire les captures d’anguilles argentées, l’addition commence à être lourde. Cependant la pêche n’est ni le seul facteur, ni nécessairement le plus important. Ainsi, des scientifiques ont évalué que le stock de géniteurs de la mer des Sargasses était trop faible pour que la reproduction se passe bien. Des problèmes migratoires sont aussi en cause, dans un sens comme dans l’autre. À l’aller, on craint une mortalité plus importante des larves leptocéphales due aux modifications des courants marins. Au retour, c’est un parasite (Anguillicola crassus) qui semble perturber leur migration marine. Autres responsables et non des moindres, les barrages qui bloquent l’accès à l’ensemble du bassin versant et aspirent les anguilles dans les turbines à la descente, ainsi que la réduction des zones humides qui a entraîné une baisse importante des habitats de croissance.
Enfin, l’anguille semble particulièrement sensible aux pesticides. L’accumulation d’éléments toxiques réduirait en effet leur potentiel reproducteur.
Patrick Lambert s’interdit de hiérarchiser toutes ces causes de disparition de l’anguille. C’est toutes ensembles qu’elles deviennent si préoccupantes pour l’anguille. Et il faut pouvoir agir partout où cela sera possible.

Le rôle de la recherche : apporter des éléments fiables pour aider à prendre des mesures de protection et de gestion


Pour cela, Patrick Lambert a mis au point un modèle qui permet d’avoir une vision globale de la population d’anguilles dans un bassin versant. L’objectif est de calculer la production d’anguilles argentées à partir d’arrivées de civelles. Pour ce faire, le modèle intègre les principaux processus biologiques, le vieillissement, la différenciation sexuelle et le déterminisme du sexe, la préparation au retour vers la zone de reproduction, la mortalité naturelle et le déplacement des anguilles. D’autres mécanismes peuvent aussi être ajoutés pour adapter le modèle à une situation donnée, comme les mortalités dues à l’homme ou encore l’impact des barrages.
Ce modèle a permis d’explorer l’influence de la densité d’anguilles sur certains processus (mortalité, déterminisme du sexe et déplacement), influence qui complique sensiblement la dynamique de la population. Il a également confirmé que le temps de restauration du stock prendra, au mieux, plusieurs décennies et donc qu’il faut envisager des mesures sur le long terme. Conçu de manière générique pour s’adapter à un maximum de situations, l’objectif est qu’il puisse être utilisé à terme par les gestionnaires comme un outil d’aide à la décision pour tester différents scénarios. Avant d’atteindre cet objectif ambitieux, Patrick Lambert espère bien que le modèle pourra servir à former et à sensibiliser les gestionnaires, une façon de les mettre en situation.
Grâce à ce type de modèles, les scientifiques peuvent aider les gestionnaires à élaborer des mesures de gestion efficaces, mais la balle est maintenant dans le camp des acteurs de la gestion qui doivent arrêter des mesures qui ont un réel impact sur la restauration du stock.
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